Lectures bibliques
Genèse 12, 1-3 (Bible André Chouraqui – 1985)
IHVH-Adonaï dit à Abrâm : « Va pour toi, de ta terre, de ton enfantement, de la maison de ton père, vers la terre que je te ferai voir.
Je fais de toi une grande nation. Je te bénis, je grandis ton nom : sois bénédiction.
Je bénis tes bénisseurs, ton maudisseur, je le honnirai. Ils sont bénis en toi, tous les clans de la glèbe. »
Luc 19, 1-10 :
Il entra dans Jéricho et passa par la ville. Un nommé Zachée, qui était chef des collecteurs des taxes et qui était riche, cherchait à voir qui était Jésus ; mais à cause de la foule, il ne pouvait pas le voir, car il était de petite taille. Il courut en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit :
Zachée, descend vite, il faut que je demeure aujourd’hui chez toi. Tout joyeux, Zachée descendit vite pour le recevoir. En voyant cela, tous maugréaient : il est allé loger chez un pécheur ! Mais Zachée, debout, dit au Seigneur : Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai extorqué quoique ce soit à quelqu’un, je lui rends le quadruple. Jésus lui dit ; Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.
Prédication : « Les fous du volant »
Une fois n’est pas coutume, je vais aujourd’hui commencer ma prédication par une question. Cette question c’est : « Qu’est ce que j’ai dans les mains ? »
Une TRADUCTION de la Bible, traduction depuis l’hébreux pour l’ancien testament et traduction depuis le grec pour le nouveau testament.
Ancien testament (1ère édition) dans la TOB : 126 collaborateurs
NBS : 74 collaborateurs (réédition)
Site internet levangile.com qui compare, tous les versets dans 29 versions différentes de la Bible. Toutes les versions disent en substance :
« Le Seigneur dit à Abram : Va-t’en de ton pays, du lieu de tes origines et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. » Une seule version, la Bible de Chouraqui, ajoute au début « Va pour toi ». Pourtant, dans le texte en hébreu, il y a bien la forme lekh-lekha
Lekh, c’est le verbe halakh signifiant « aller, marcher » au mode l’impératif, correctement traduite par « va » !
Lekha est composé de deux éléments :
– Le, une préposition signifiant à, pour, vers
– kha, un suffixe, deuxième personne du singulier, masculin utilisé pour le « toi » masculin.
Pourquoi ça n’a pas été traduit ?
« Va pour toi » … également mis en exergue par Marie Balmary, psychanalyste et écrivain qui traduit plutôt par « Va vers toi » ; non pas « vers toi » introspection c’est à dire je regarde passivement qui je suis, mais quête active de l’identité profonde, quête du JE ….. La question qui se pose ici est la question de l’identité, la Bible fourmille de versets à ce sujet :
« Où es-tu ? » (Gen. 3-10)
« Je suis qui je suis » (Exode 3-13)
« Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? » (Mat 16-15 et Luc 9-20)
« Et pour vous, qui suis-je ? » (Marc 8-27)
« Toi, qui es-tu ? (Jean 1-20)
« Qui es-tu ? […] Que dis-tu de toi-même ? » (Jean 1-22)
« Qui es-tu, toi ? » (Jean 8-25)
Petit résumé des épisodes précédent :
Genèse 1,27 : « Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu »
Dieu crée l’homme Adam, tout se passe pour le mieux dans l’unité, puis Eve … jusqu’à ce que Eve saisisse l’objet de son désir, un fruit, et que l’être humain entre dans la dualité j’aime/je n’aime pas, je saisis/je rejette, l’unité d’avec Dieu semble brisée. Ils se sont vus nus « je n’aime pas » et se sont donc habillés de pagnes. Dans de nombreuses traditions, l’entrée dans une vie consacrée à la spiritualité est marqués par un renoncement (cheveux rasés, nudité ..) qui symbolise la volonté d’abandonner les attributs (mais surtout les codes et conditionnements) de la vie « mondaine ». Pour Adam et Eve, c’est le processus inverse qui se produit : ils se masquent et se créent une identité « d’apparat ». « OÙ … ES … TU ? » dit Dieu (en GEN 3-10) à Adam qui répond qu’il s’est caché, il s’est caché de Dieu, puis il accuse la femme, qui accuse le serpent, c’est la zizanie au jardin d’Eden, pour ne pas dire la guerre.
La suite du livre de la Genèse jusqu’à ce chapitre 12 racontent ensuite une série d’échec : l’échec du premier couple de frères qui se termine par un fratricide, l’échec de la première humanité qui se termine par le déluge, l’échec d’un projet humain orgueilleux de construction de la tour de Babel allant jusqu’au ciel…
Exode 3-13 : Dieu dit à Moïse selon les traductions : « je suis qui je suis », « je suis qui je serai », « je serai qui je serai »
Alors vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai mis cette image de ce vieux dessin animé des fous du volant ? J’explique : c’est un dessin animé dont chaque épisode montre une course entre des équipages improbables juchés sur des machines non moins improbables. Les courses sont déloyales et il arrive fréquemment que les deux héros, lorsqu’ils arrivent à un carrefour, renversent ou tournent les panneaux indicateurs afin que les concurrents qui passent après empruntent une direction totalement opposée. Oui, c’est mal … mais bon … certains se rappellent peut-être encore des noms des deux personnages principaux ? Satanas et Diabolo … ça ne s’invente pas … c’est biblique
Ce « Va vers toi » renverse ici radicalement la direction des panneaux indicateurs.
YHWH ne dit pas à Abram : « Viens vers moi, » et encore moins : « Monte vers moi »…… voici que le « Royaume des cieux » pour reprendre une expression courante des évangiles pour désigner la divinité appelle vers l’humain, il s’agit du travail de l’Esprit, du Souffle Divin en nous. Alors « Royaume des cieux », c’est en ces termes là que Jésus évoque cette dimension intérieure mais je pense que les termes d’ « Eveil », de « Nirvana » de « Satori » dans d’autres spiritualités désignent sans doute des états semblables.
YHWH est celui qui appelle l’homme vers l’homme. Suis-je le seul ici à trouver que la portée de cet évènement pour l’humanité est immense … et tellement contraire à ce que l’on m’a enseigné ?
Cette idée ne pouvait faire l’affaire des religieux qui enseignaient un Dieu qui appelle vers lui, donc vers une institution, vers des temples ou des églises. Cette idée ne pouvait pas non plus faire l’affaire des enseignants philosophes athées, qui enseignaient l’homme totalement conscient de lui-même.
Décidément cette notion de quête de soi aura eu bien du mal à parvenir jusqu’à nous. Mais en cherchant bien, nous en trouvons des traces au travers des siècles :
Chez les pères de l’Église : Saint Augustin, au IVème siècle, a lancé un appel qui, après tant de siècles, garde toute son actualité : « Rentre en toi-même ; la vérité habite à l’intérieur de l’homme. »
Le même Saint Augustin confesse également à Dieu « Je te cherchais à l’extérieur de moi-même, mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même. »
Dans un discours, avec encore plus d’insistance, il exhortait ainsi le peuple :
« Rentrez en votre cœur ! Où voulez-vous aller loin de vous ? En allant loin, vous allez vous perdre. Pourquoi choisissez-vous des routes désertes ? Rentrez de votre vagabondage qui vous a conduit hors de la route ; retournez au Seigneur. Il est prêt. D’abord, rentre en ton cœur, toi qui es devenu étranger à toi-même, à force de vagabonder dehors, tu ne te connais pas, et cherche celui qui t’a créé ! Reviens, reviens à ton cœur, détache-toi de ton corps … Rentre en ton cœur ; là, examine ce que peut-être tu perçois de Dieu, car c’est là qu’est son image ; le Christ habite dans l’homme intérieur, et c’est dans ton intériorité que tu es renouvelé à l’image de Dieu. »
Il y a ensuite Saint-Bernard, au 12ème siècle : « Tu n’as pas grand chemin à faire pour trouver ton Dieu, tu n’as qu’à rentrer en toi même »
Puis Maître Eckhart, au 13ème siècle, écrit dans son premier ouvrage intitulé « Conseils spirituels » : « Dieu nous rend souvent visite, mais la plupart du temps nous ne sommes pas chez nous »
Très récemment, dans les années 80, Marie Balmary, alors encore débutante en hébreux demande pourquoi ce « lekh-lekha » en hébreux n’a pas été traduit par « Va vers toi ».
André Chouraqui traduit par « Va pour toi » plutôt que « Va vers toi ». Néanmoins, plusieurs autres textes de l’ancien testament ne laissent pas d’autres choix que de traduire Lekha par « vers toi ».
Dans le nouveau testament et plus particulièrement dans l’évangile de Luc, c’est encore plus clair car là ce n’est plus imagé ni symbolique. En Luc 17-21 :
« le royaume de Dieux est au dedans de vous »
L’Évangile de Luc nous offre encore, deux chapitres plus loin, l’épisode de Zachée. Zachée est l’homme qui veut connaître Jésus et, pour ce faire, il sort de chez lui, traverse la foule, monte dans un arbre. Il le cherche à l’extérieur. Mais en passant, Jésus le voit et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » (Lc 19, 5) Jésus ramène Zachée chez lui et là, dans le secret, sans témoin, le miracle se produit : il découvre vraiment qui est Jésus et trouve le salut. Nous ressemblons souvent à Zachée. Nous cherchons Jésus mais nous le cherchons dehors, sur les routes, dans la foule. Et c’est Jésus lui-même qui nous invite à rentrer chez nous, dans notre cœur, où il désire nous rencontrer. Luc fait ensuite une référence claire à Abraham : « lui aussi est un fils d’Abraham« . Et enfin le paragraphe se termine par cette phrase magnifique : « Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
Après « va vers toi », Dieu dit à Abrâm ; « Quitte ta terre ». Qu’est-ce qui reste si j’enlève la couche lié au fait que je sois né en France avec ses coutumes, sa culture, ses traditions. Mon être essentiel aurait-il été différent si j’étais né en Pologne ? Ma langue maternelle aurait été différente mais je ne pense que mon être essentiel l’eusse été.
« Quitte ton enfantement, quitte la maison de ton père « . L’enfantement est clairement lié à la mère, la maison de ton père est clairement liée au père. Qu’est ce qui reste de moi si on enlève ce qui vient de ma mère et ce qui vient de mon père, ce que j’ai fait pour leur faire plaisir, parfois jusqu’au choix de mon métier ou de mon épouse ou époux ? Nous avons tous été un fils de … ou une fille de … et puis un jour une conversion vers l’intérieur opère et nous disons « Je » pour la première fois.
Une des deux principales école Bouddhiste, l’école Rinzaï, utilise des koans. Ce sont des énigmes posées aux disciples. Un koan célèbre est : « Quel était ton visage avant la naissance de tes parents ? ». Cela peut sembler déconcertant mais cette enseignement paradoxal n’est pas l’apanage du Bouddhisme, Jésus pratique régulièrement cette pédagogie du paradoxe dans ses paraboles. Dit-il finalement autre chose quand il dit dans Jean 8-58 « avant qu’Abraham ne vienne à l’existence, moi, je suis »
Le Baal Shem Tov, fondateur du hassidisme, a écrit : « Que chacun sache et prenne en considération que, par sa nature, il est unique au monde et qu’aucune personne identique n’a jamais vécu, car si une personne identique à lui avait vécu avant lui, il n’aurait pas besoin d’être. »
Le fait est qu’un jour ou l’autre, un être humain qui entend en lui-même un peu de parole libre l’invitant à assumer sa singularité, à être lui même et qui trouve confirmation, dans l’écoute d’un autre, de ce qui parle en lui, cette aspiration profonde à accomplir son chemin alors la parole de l’autre change le cours de son destin…
C’est bien le « Va vers toi » que l’homme recherche. Lorsque les communautés religieuses ne portent pas ou plus cette parole, il faut bien que la société humaine se donne d’autres passeurs. Que fait un bon psychothérapeute quand vous allez le voir ? Il cherche à voir quels ont été votre rapport à votre mère, quels ont été les rapports à votre père, et vous invite à enlever les enrobages qui viennent de votre mère et de votre père et à aller vers vous même, à renouer le dialogue avec votre être intérieur en écrivant un journal intime par exemple. La guérison escomptée vient par surcroît, comme conséquence d’une mutation profonde et qui concerne l’identité. Plus le sujet ira vers lui-même, moins il sera malade. Jean Dupont sera unifié. Il n’y aura plus d’un côté Monsieur Dupont qui rêve de se pavaner au volant de sa Porsche en arborant sa Rolex qu’il a eu avant 50 ans et de l’autre côté Jean qui ne rêve quant à lui que d’aller élever des chèvres dans le Larzac.
Mais dans un premier temps, être malade est le moyen d’arrêter le mouvement qui le fait aller vers l’idole extérieure, quelle que soit cette idole, qu’elle soit mère, père, argent, BFMTV. Cette maladie, qui est médicalement considérée comme un mal, est spirituellement un progrès. Aller vers soi-même, renaître d’en haut. Cette terre que DIEU, « JE SUIS » fera voir à Abrâm ne serait-elle visible que si Abrâm devient un véritable « Tu » ?
« Je bénis tes bénisseurs, ton maudisseur, je le honnirai. » Aujourd’hui comme au temps abrahamique, ceux qui ont accédé à la première personne, au « Je suis », sont bénédiction, ou malédiction pour d’autres. Selon qu’il honore ou maudit l’accès qu’il a trouvé à son être unique, chacun devient plus lui-même ou au contraire se trouve de moins en moins d’identité propre. Parfois quand je discute avec certaines personnes j’ai l’impression d’écouter BFM TV tellement ces personnes semblent coupées de leurs émotions, de leur ressenti, de leur être essentiel, et me parlent de ce qui est dit sur ces chaînes dites d’information en continu ou de discours d’autres îdoles.
Lorsqu’une personne va ainsi vers elle-même, toutes les relations humaines se modifient.
Un seul homme qui naît à la véritable relation rend possible – si le feu gagne de proche en proche – cette promesse que tous les clans de la terre soient en lui respectés, reconnus.
C’est aussi une porte qui s’ouvre vers une paix intérieure, paix entre l’être « mondain » celui que les autres voient et l’être intérieur, l’être essentiel. Etty Hillesum disait en substance la même chose dans son ouvrage « Une vie bouleversée » ? Elle disait : « Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y aura de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition. »
J’ai commencé ma prédication sur l’identité de Dieu « Je suis celui qui est », je la terminerai sur l’identité de Jésus. En effet, la voix qui parle à Abrâm connaît bien, et pour cause, les conditions d’une guérison : C’est Dieu qui sauve, Dieu avec nous. Ce sont les deux noms de Jésus, Yeshoua, qui signifie « Dieu sauve » et Emmanuel, qui veut dire « Dieu avec nous » ; le premier (Dieu sauve) ne pouvant s’accomplir que grâce au second (Dieu est avec nous).
Dieu nous sauve en nous guérissant de l’intérieur.
Amen.